Ses ancêtres – présents sur terre avant que les dinosaures ne pointent leur nez – ont laissé un seul descendant, le Ginkgo biloba. Il a affronté la météorite destructrice, les plus graves glaciations et, il n’y a pas si longtemps, il a fait front à la bombe atomique ! De plus, le ginkgo est un arbre qui pond des œufs ! Comment ne pas avoir envie de découvrir cet arbre d’exception qui agrémente nos villes et nos jardins.
Ginkgo biloba est le seul représentant de la famille des Ginkgoaceae qui comprend donc un seul genre et une seule espèce. Chez les plantes, le nom de genre correspond à notre nom de famille et l’espèce à notre prénom, soit notre individualité.
Cette famille est proche des conifères par certains critères botaniques et des fougères par d’autres mais aussi très proches des Cycadales. Les botanistes la classent chez les préspermatophytes (plante développant des ovules généralement fécondés au sol), après les fougères et juste avant les conifères.
Toutefois, son allure générale annonçait l’arrivée des angiospermes – plantes à fleurs aux ovules protégés dans un ovaire.
Les ginkgos actuels proviennent de Chine mais il fut un temps éloigné où ils étaient cosmopolites : on pouvait en trouver en Amérique, en Europe ou en Asie.
Avec le Ginkgo, on rentre dans le domaine des vieux de la vieille ! Ses plus anciens ancêtres vivaient sur le continent unique la ‘Pangée’ (supercontinent formé il y a 290 MA) au temps des premiers reptiles, quelques 30 millions d’années avant les premiers dinosaures ; des fossiles retrouvés ont été estimés à 270 millions d’années.
Un des premiers représentants du Ginkgo fut l’espèce primigenia depuis longtemps éteinte; il semblerait qu’au Jurassique -200 à 145 millions d’années, il existait différentes espèces de Ginkgoaceae tel Ginkgo yimaensis dont les fossiles datés de 170 millions d’années ont été retrouvés en Chine. Au Crétacé -145 à 65 millions d’années, l’espèce la plus représentée était Ginkgo adiantoides qui serait l’ancêtre du biloba.
En 1859, Darwin considéra que l’espèce biloba était un ‘véritable fossile vivant‘ en tant que seul représentant ayant survécu à la météorite et aux changements climatiques.
Suite aux grandes glaciations, Ginkgo biloba finira par s’installer en Chine où il est considéré comme un arbre relique du fait que les seuls ginkgos ayant poussé de manière spontanée n’auraient été retrouvés qu’à l’ouest de Shanghai en Chine sur un périmètre de 100 km.
– Ce sont des moines bouddhistes qui l’ont introduit de Chine au Japon et en Corée au XIIe siècle.
– Les arbres introduits en Europe et en Amérique, au XVIIIe siècle, proviendraient essentiellement du Japon.
∙ Engelbert Kaempfer, voyageur allemand et médecin de la Cie néerlandaise des Indes orientales, le découvre au Japon en 1691; auteur d’un ouvrage en 3 volumes sur l’Histoire du Japon, il le décrit en 1712. Il ramène des graines en Hollande et c’est ainsi que les premiers ginkgos européens furent plantés au jardin botanique d’Utrecht, probablement vers 1727.
∙ Il est introduit et cultivé en Angleterre en 1754. Il n’arrive aux USA que vers 1784.
∙ Un des premiers ginkgos de France a été offert par le naturaliste anglais Joseph Banks au naturaliste français Auguste Broussonet qui se trouvait alors en Angleterre; ce dernier le céda en 1778 au botaniste français Antoine Gouan qui le planta à Montpellier. Une bouture prélevée de cet arbre sera installée au jardin des plantes de Paris en 1795.
Ginkgo biloba L.
– Ginkgo : nom latin du japonais ‘ginkyo’ qui est une des deux transcriptions (avec ginnan) des idéogrammes chinois 銀杏 ‘yinxing’ – abricot d’argent, ‘yin’ – argent et ‘xing’ – abricot, en référence à l’aspect de ses pseudo-fruits.
Engelbert Kaempfer est le premier à décrire cet arbre dans son mémoire qui fut par la suite utilisé par Linné ; dans la région d’origine de Kaempfer, en Allemagne, le g se prononce y d’où l’erreur de transcription, de ginkyo on est passé à ginkgo et l’erreur perdure, botanique oblige…
– Biloba : baptisé ainsi en 1771 par Linné, en référence à ses feuilles à 2 lobes pour l’espèce type. D’ailleurs, Ichô est le nom japonais issu du chinois Ya-Tchio signifiant ‘pattes de canard’.
– Le botaniste britannique James Edward Smith en désaccord sur le nom validé par Linné, le nomma Salisburia adiantifolia; dénomination présente dans certaines flores du XIXe siècle.
∙ Salisburia : nom dédié au botaniste britannique Richard Anthony Salisbury, farouche opposant à la classification de Linné.
∙ Adiantifolia : nom latin du grec signifiant ‘comme les feuilles d’Adiantum‘.
∙ Adiantum est le nom d’un genre, du grec signifiant ‘non humide’ en référence à la particularité des feuilles de laisser couler l’eau sans être mouillées. Toutefois, la référence est plus à rapprocher de l’aspect et de la forme des feuilles de l’Adiantum capillus-veneris – la capillaire de Montpellier ou Cheveux de Vénus – dont le feuillage est d’ailleurs nommé cheveux. On retrouve cette référence dans le nom anglais du Ginkgo – Maidenhair.
– Les vieux spécimens présentent souvent sur leur tronc des excroissances qui peuvent parfois aller à l’enracinement. Les japonais les appellent les ‘chichis’ signifiant téton en référence à leur forme d’où le nom de chichi-no-ki, l’arbre aux mamelles. C’est probablement ce qui a donné lieu à des superstitions populaires concernant l’allaitement.
– Nommé ‘Arbre de vie’ au Tibet.
– En France, on le nomme arbre aux quarante écus. En effet, en 1780, M. Pétigny, amateur de plantes, se rend à Londres. Il rencontre un pépiniériste qui possède cinq plants de ginkgo (très rares à l’époque). Après un déjeuner bien arrosé, le pépiniériste anglais finit par accepter de lui vendre ses 5 semis pour 25 guinées. Pétigny sans plus attendre paye et s’en va. Le lendemain dessaoulé, le pépiniériste tente de lui racheter pour la même somme au moins un seul plant mais Pétigny refuse et rentre en France. Chaque plant lui a donc coûté environ 120 francs soit 40 couronnes soit 40 écus d’où le nom. Un de ces plants serait installé au Jardin des Plantes de Paris.
Cet arbre apprécie le soleil et se développe mieux dans un sol léger, frais mais bien drainé; il n’est pas trop regardant sur la nature du sol même s’il a une petite préférence pour un sol légèrement acide.
– Sa croissance est lente mais il bénéficie d’une longévité jusqu’à 1 500 ans.
– Le ginkgo fait partie de ces arbres que l’on dit dioïque : les organes mâles et les organes femelles vivent séparés sur des arbres différents.
Le pied femelle a un port pyramidal et élancé bien différent de l’arbre mâle dont les branches sont largement évasées et touffues, il peut atteindre jusqu’à 40 m (soit un immeuble de 15 étages !).
– Les racines sont très ramifiées, c’est pourquoi son installation se fait lentement et qu’il n’apprécie guère les sols trop lourds.
Par contre, un arbre coupé rejette très facilement de la souche.
– Il possède des rameaux dimorphes : des rameaux aux entre-nœuds allongés – les auxiblastes à croissance rapide, et des rameaux aux entre-nœuds très courts et épais – les mésoblastes, qui s’allongent très légèrement chaque année, densément feuillés et portant les inflorescences. Ce sont les mésoblastes avec leurs bouquets de feuilles rapprochés qui donnent au Ginkgo son allure particulière et reconnaissable parmi tant d’autres.
– Les feuilles, elles aussi, sont caractéristiques, uniques dans le monde des arbres, en forme d’éventail, elles présentent des nervures dichotomiques (l’axe du végétal bifurque en ramifications successives d’importance souvent égale). Elles sont caduques, regroupées en bouquet, en général bilobées, vertes arborant une magnifique couleur jaune d’or en automne.
Les feuilles d’un même arbre chutent presque toutes en même temps ce qui tapisse le sol d’une merveilleuse couleur. D’après l’observation aux Jardins des Plantes de Paris d’un pied mâle sur lequel une branche femelle a été greffée, la chute des feuilles entre pied mâle et pied femelle se fait à une quinzaine de jours d’intervalle ; le pied mâle en premier débourre au printemps et perd ses feuilles à l’automne aussi en premier.
– La maturité sexuelle d’un pied est tardive : un mâle vers 20 ans et une femelle vers 30 ans. La structure est archaïque dans le monde végétal et constitue un intermédiaire entre les fougères et les plantes à fleurs.
Au printemps, les inflorescences portées par les rameaux courts, se développent en même temps que les feuilles.
∙ Les organes mâles sont des petits chatons en épis portant une centaine d’étamines aux anthères (extrémité fertile d’une étamine) deltoïdes (forme triangulaire) et les femelles des ovules nus groupés par paires (en général) au bout d’un long pédoncule (pied) ; souvent un des deux ovules avorte.
Chez les plantes, non seulement la sexualité se fait à distance mais en plus par l’entremise d’un intermédiaire : le vent ou les animaux. Les ginkgos ont opté pour une pollinisation assurée par le vent – anémophile ; cela va de soi pour un arbre si ancien car à son apparition sur terre, les abeilles n’étaient pas encore présentes !
Le grain de pollen se développe une fois pénétré dans l’ovule. Quand le spermatozoïde devient mature, il se dirige vers l’oosphère – l’œuf – grâce à des cils vibratiles. On retrouve là un caractère des fougères qui sont dépendantes du milieu aquatique pour se reproduire, à la différence que pour les fougères ce milieu se trouve à l’extérieur de la plante.
∙ De son côté, l’ovule, même s’il n’est pas fécondé, produit des substances de réserve, un sarcotesta (tégument, tissu) charnu qui le fait ressembler à une sorte de mirabelle ; la fécondation arrive plus tard parfois même lorsque le pseudo-fruit est tombé au sol.
On parle de pseudo-fruit car un ‘vrai’ fruit est le produit de la fécondation de l’ovule d’une fleur; on retrouve ce phénomène chez les oiseaux et les reptiles qui produisent un œuf – équivalent du fruit – qu’il soit fécondé ou pas; par contre, au cours de leur évolution, les plantes n’ont pas validé ce système trop coûteux pour elles, et les tests se sont arrêtés là.
À la question « Qui est le premier de l’œuf ou de la poule ? », le ginkgo vous répondrait : « Les ancêtres des poules » !
Quelques mois plus tard, la germination commence sans temps de repos contrairement aux graines classiques qui observent un temps de latence plus ou moins long.
– Cette sorte de drupe à noyau dur recouvert du sarcotesta contient une amande. Ce pseudo-fruit dégage à maturité une odeur épouvantable de pourri. Étant donné qu’il est impossible de déterminer le sexe d’un arbre avant qu’il ne soit mature, soit entre 20 à 30 ans, les nombreux arbres plantés en ville sont souvent issus de boutures ou de greffes de pieds mâles.
– Le ginkgo héberge à l’intérieur de ses cellules une petite algue verte – une Coccomyxa. À l’heure actuelle, les recherches n’expliquent pas la raison de cette endosymbiose (la symbiose se réalise à l’intérieur de la plante), que ce soit pour le ginkgo ou pour l’algue.
– Nombreux cultivars
∙ Ginkgo biloba ‘Pendula‘
Arbre femelle de petite taille, aux branches horizontales, aux rameaux pleureurs. Forme créée en 1862 par le pépiniériste belge Charles Prosper Van Geert.
∙ Ginkgo biloba ‘Dila‘
Il ne dépasse pas les 5 à 7 m et développe un port élancé.
– Arbre remarquable : s’il ne faut en citer qu’un, le plus étonnant serait le Ginkgo biloba situé à Nishitsugaru-gun au Japon avec ses 40 m de hauteur, son diamètre de 7 m et ses nombreux ‘chi-chi’.
– Pharmaceutiques : 2 700 avant J.-C., les Chinois l’utilisaient déjà en médecine traditionnelle.
Feuilles pour la circulation du sang – le système veineux et cérébral – les problèmes respiratoires…
La plus grande plantation mondiale pour l’industrie pharmaceutique se trouve (en 2014) à Sumter en Caroline du Sud aux USA.
– Ornementales : ses qualités de résistance aux insectes, aux maladies, à la pollution, au feu et au nucléaire en font un arbre ornemental très apprécié aussi bien dans les villes que dans les jardins. Il est aussi apprécié en bonsaï.
– Alimentaire : l’amande du noyau est grillée ou bouillie et consommée comme accompagnement de plats, comme dessert ou comme bonbons offerts lors de la cérémonie du thé.
– Bois : il n’est utilisé qu’en Chine et au Japon pour l’architecture des temples, la menuiserie, le mobilier, les petits ustensiles. Toutefois n’étant pas de grande valeur, il sert surtout à fabriquer de petits objets.
– Confection de bijoux.
– Cet ‘arbre sacré‘ en Asie était planté près des temples pour les protéger. En 1923, lors d’un terrible incendie, un temple de Tokyo aurait été épargné par les ginkgos qui l’entouraient.
– Au Tibet, les moines bouddhistes considéraient qu’une décoction de feuilles de ginkgo maintenait l’esprit en éveil pendant les séances de méditation.
– Ses vertus pharmaceutiques très appréciées l’élèvent au rang de ‘Arbre de vie‘.
– En 1945, c’est le seul arbre qui a résisté à la bombe nucléaire d’Hiroshima et ce sans modification génétique.
– Symboles
∙ En Chine et au Japon, au long des siècles, on retrouve dans tous les arts ou dans les objets quotidiens la représentation du fruit ou de la feuille du ginkgo.
∙ Dés le IVe siècle en Chine, on utilise le symbole de la feuille sur les murs des tombes royales et sur les peintures sur soie.
∙ Depuis le XVIe siècle au Japon, on utilise la représentation des feuilles – ‘fukiyose’ – sur les tissus des kimonos.
∙ Autrefois, de nombreuses familles japonaises prenaient le symbole de la feuille pour leurs armoiries.
∙ Au Japon, sous la période Edo, les hommes, les samouraïs, les sumos, les négociants, portaient une touffe de cheveux en forme de feuille de ginkgo au sommet de la tête. La forme, la taille et la position de cette touffe faisait état du rang social. Au XIXe siècle, ce style de coiffure fut adopté par les femmes japonaises.
∙ Les samouraïs le considéraient comme un symbole de loyauté et le faisaient représenter sur la garde de leur sabre.
∙ Symbole officiel de Tokyo : feuille stylisée qui représente la lettre T de Tokyo. Le vert vif symbolise la croissance, le charme et la tranquillité (!?) de cette ville.
∙ L’Art nouveau en Europe fit naître des bijoux représentant une feuille de ginkgo en or.
∙ La représentation du ginkgo est souvent utilisée dans les logos des universités au Japon telles Osaka University ou en Angleterre pour l’université de Cambridge ‘Cambridge-Plant Sciences’; mais on retrouve aussi son symbole sur de nombreux blasons de villes de France telles Saint-Sulpice-Laurière en Haute-Vienne, Saintry/Seine en Essonne ou encore Saint-Aignan-sur-Ry en Seine-Maritime et bien d’autres.
∙ Il est bien sur présent sur de nombreux timbres.
∙ En France, en 1989, afin de célébrer le bicentenaire de la révolution française, 514 communes de Seine-et-Marne ont planté un ginkgo comme symbole de la liberté.
∙ Symbole de vie et de renouveau, en 1997, le Dalaï Lama inaugura la plantation d’un ginkgo dans la Vallée du Mémorial à Caen. D’ailleurs, dans cette même ville, le boulevard Malesherbes longeant le stade a été planté de nombreux ginkgos.
∙ Le ginkgo fut élu en France ‘Arbre de l’An 2000’.
– Poésie
∙ Les poètes chinois l’honoraient dans leurs poèmes – les ‘haïku’.
∙ Le célèbre poème ‘Ginkgo biloba’ de Goethe est publié en 1819 dans le ‘Divan occidental-oriental’. Goethe s’étonne de cette feuille bilobée qui symbolise l’unité et la dualité, un de ses thèmes préférés. Traduction de Claire Placial :
« La feuille de cet arbre, que l’Orient
A mon jardin a confié,
Donne à goûter un sens secret
Que l’initié apprécie.
Est-ce un seul être vivant,
Qui en lui-même se sépare ?
Est-ce deux êtres, qui si bien se cherchent
Qu’on les croit ne faire qu’un.
Pour répondre à cette question,
Voilà que j’ai trouvé le sens juste,
Ne sens tu pas à mes chants,
Que je suis, et Un, et Double ? »
Mise à jour le 20 octobre 2022.