Difficile de séparer les genres Datura et Brugmansia tant ils sont proches. Ils sont classés dans la grande famille des Solanaceae (the nightshade family) qui tient son nom de l’imposant genre Solanum (avec au moins 1 300 espèces). Le nom de Solanum fut employé par Pline pour désigner le ‘Strychnos’ des Grecs (le nom de strychnos fut plus tard réattribué à un genre de la famille des Loganiaceae et particulièrement au vomiquier). Il est supposé que Pline parlait de la morelle noire – Solanum nigrum considéré comme l’espèce type du genre – mais il existait des confusions dans ses écrits (suite aux confusions de Dioscoride) et certains identifièrent d’autres solanacées.
Solanum pourrait provenir du latin ancien solornus – solari signifiant ‘soulager’ rappelant les qualités médicinales de certaines espèces et particulièrement la morelle noire – Solanum nigrum ou la morelle douce-amère – Solanum dulcamara et d’autres… Ces qualités sont dues à des alcaloïdes (molécules à bases azotées) – solanine, scopolamine, hyoscyamine, atropine… La solanine est une substance toxique contenue dans toutes les solanacées mais à des doses différentes selon l’espèce. Les daturas et les brugmansias sont riches en hyosciamine, en atropine et en scopolamine. Le Datura stramonium, la stramoine est la plus toxique des espèces de solanacées, elle fait partie des 10 plantes les plus dangereuses au monde.
Certaines espèces bien connues telles Solanum tuberosum – la pomme de terre, Solanum lycopersicum – la tomate, Solanum melongena – l’aubergine… contiennent aussi de la solanine soit à faible dose permettant leur consommation soit leurs parties comestibles en sont dépourvues.
Certains auteurs proposent une autre interprétation du nom solanum qui serait issu de solanus se référant au soleil afin de rappeler la forme en étoile des fleurs mais cette version n’est pas souvent retenue.
C’est aussi la famille des piments – Capsicum, des mandragores – Mandragora, des tabacs – Nicotinia, de la belladone – Atropa, de la jusquiame – Hyoscyamus, de l’amour en cage – Physalis, des pétunias…
Cette grande famille regroupe une centaine de genres avec 2 500 à 2 700 espèces. Elle est sous-divisée en 7 (8 à 10) sous-familles, elles-mêmes constituées de tribus (ou sections) mais tous les auteurs ne sont pas d’accord pour ces classifications.
Les Datura et les Brugmansia font partie de la sous-famille des Solanoideae (sœur des Nicotianoideae) et de la tribu des Datureae composée de 3 genres avec le petit dernier Trompettia cardenasiana (monotypique) autrefois classé dans la tribu des Physaleae sous le nom de genre Iochroma.
∙ Le journal de botanique ouest-américain – Madrõno, en 2013, comptait 14 espèces de Datura réparties en 4 sections mais certaines espèces furent considérées comme des sous-espèces ou des variétés. En 2017, le NCBI (Centre américain pour les informations biotechnologiques) en dénombrait 17 espèces alors que l’association ITIS (Système d’information taxonomique intégré) n’en reconnaissait que 9 espèces.
Selon les auteurs les listes diffèrent, voici les espèces dernièrement les plus citées (ceci n’est pas une liste officielle) :
arenicola – ceratocaula – discolor – ferox – inoxia – leichhardtii – metel (certains la considèrent comme une ancienne domestication de l’espèce inoxia) – stramonium – wrightii.
Fastuosa est un synonyme de metel – bernhardii serait une forme du stramonium – kymatocarpa et reburra seraient des variétés de discolor – laevis serait un synonyme de ferox – lanosa serait une variété de inoxia ou de wrightii – pruinosa ce nom n’est pas encore résolu – quercifolia serait une variété de ferox.
∙ Brugmansia est réparti en 7 espèces autrefois classées dans les daturas ; en effet, en 1805, Christiaan Hendrik Persoon transféra le Datura arborea en créant le nouveau genre Brugmansia en honneur à Sebald Justinus Brugmans. Cela ne fit absolument pas l’unanimité et il faudra attendre 1973 pour que ce genre soit officiellement reconnu par la thèse de doctorat sur les Solanaceae de Tommie Earl Lockwood.
Les 7 espèces sont : arborea – aurea – sanguinea – suaveolens – versicolor – insignis – vulcanicola.
Les premières solanacées auraient fait leur apparition sur terre durant l’Éocène, entre -59 à -49 millions d’années et la sous-famille des Solanoideae se serait diversifiée vers -24 MA. De nombreux genres de cette famille sont endémiques d’Amérique ce qui laisse supposer l’origine principale de cette famille.
Les Datura sont originaires du Mexique et du Sud-Ouest des USA et les Brugmansia d’Amérique du Sud et particulièrement des Andes jusqu’à 3 700 m d’altitude.
L’origine des Brugmansia paraît évidente mais il n’en est pas de même pour les Datura. Ces plantes se sont naturalisées un peu partout dans le monde mais quand ? et surtout à partir de quelles régions ? Voilà la grande question qui, depuis leurs découvertes, oppose l’histoire et la science.
∙ Que nous disent les textes historiques ?
La confusion commença dès les premières descriptions morphologiques et médicinales de ces plantes.
Le père de la botanique, Théophraste a étudié plusieurs solanacées, il les nomma ‘Strychnos’ du grec que l’on peut traduire comme ‘plantes qui usent la tête’. Il distingua une espèce comestible le ‘strychnos bien cultivé’ assimilée à la morelle noire et deux espèces médicinales dont une serait un datura, la ‘solanée de la folie’ à la longue racine blanche, nommée Strychnos manicos (manikon vient du grec ancien signifiant qui rend fou) et qui selon sa description ressemblerait au Datura stramonium.
Dioscoride indiqua aussi les propriétés des solanacées en se référant aux ouvrages de Théophraste mais d’évidence il y eut confusion entre les différentes solanacées de Théophraste et les descriptions exprimèrent alors une sorte de mélange de caractéristiques. C’est pourquoi quand Dioscoride évoquait la description et l’usage des racines d’une plante qu’il nommait Strychnon manikon – le strychnos des jardins, certains y voyait la belladone – Atropa belladonna (morelle furieuse, morelle perverse), d’autres la morelle noire – Solanum nigrum, d’autres encore l’amour en cage – Physalis alkekengi mais plusieurs auteurs la rattachèrent à la stramoine – Datura stramonium.
L’origine du Datura metel est aussi incertaine que celle de la stramoine et d’autant plus que c’est une plante cultigène, plante cultivée et sélectionnée par l’homme depuis très longtemps. Linné lui avait attribué des origines asiatique et africaine ce qui a été démenti par d’autres botanistes qui penchèrent pour une origine issue de la culture d’un datura sauvage, Datura inoxia d’origine américaine ; d’autres auparavant lui avaient attribué une origine indienne et d’ailleurs on peut le trouver sous le nom anglais de ‘Indian thorn apple’.
Les textes de Théophraste et de Dioscoride confirmaient donc la présence de daturas dans l’Ancien Monde tout comme ces deux écrivains du Ier siècle av. J.-C. Diodore et Strabon qui mentionnaient l’utilisation du suc de datura pour empoisonner les flèches des Celtes mais leurs sources ont souvent été étiquetées de peu fiables.
D’autre part, on peut trouver la trace des daturas dans les textes sanscrits tels l’Arthashâtra (Traité politique du IIe siècle) et le Kâma-Sûtra (Traité sur l’art de vivre et la sexualité du IVe siècle). Au sud de l’Inde, la fleur d’unmattam (dhattura) orne de nombreuses représentations artistiques religieuses, elle fait partie de l’iconographie de Shiva. On retrouve leur médication dans des ouvrages de médecine ayurvédique du Ve et VIe siècles. Le philosophe, scientifique et médecin persan Avicenne en fait mention mais ses citations pourraient peut-être découler des textes de Dioscoride.
Helmut Baumann envisagea une introduction du Datura stramonium d’Asie en Europe par les Tziganes d’origine indienne là où d’autres avançaient une origine européenne ou bien une dispersion de graines venant d’Amérique bien avant le IV° siècle mais de quelle manière ?!
∙ Que nous dit la science ?
De tous temps, des botanistes réfutèrent catégoriquement la présence du Datura hors de l’Amérique avant 1498. Enfin, en 1991, les études taxonomiques de Symon et Haegi conclurent sans ambiguïté à une origine américaine (particulièrement mexicaine) des daturas et s’opposèrent à l’interprétation des textes des historiens, ces derniers (particulièrement l’historienne Suzanne Amigues) campèrent toutefois sur leur position et le problème ne semble toujours pas résolu !
∙ En conclusion :
Ce mystère est digne de plantes considérées comme des herbes du diable… mais dans la vie tout n’est pas ou blanc ou noir et il se pourrait que les arguments historiques et scientifiques se rejoignent, c’est pourquoi certains comme l’Indian academy of science émettent la possibilité d’un transport de graines (très résistantes) du Datura metel (plante souvent évoquée en Inde et en Chine) par des courants océaniques de l’Amérique du Sud à la Polynésie, de là l’homme l’aurait répandu dans le reste du monde. À suivre…
Les daturas et les brugmansias ont obligatoirement été découverts lors des conquêtes espagnoles et portugaises en Amérique mais il y a peu de littérature d’époque à ce sujet d’autant qu’il existe une grande controverse quant à leurs origines et en effet des origines indiennes, chinoises, australiennes ou africaines ont été attribuées à certaines espèces du fait de leur primo découverte en ces régions. La découverte des Brugmansia et particulièrement l’ancien Datura arborea est citée lors de l’exploration de l’Amérique du Sud par Alexander von Humboldt et Aimé Bonpland au début du XIXe siècle.
Il est supposé que Datura metel, Datura stramonium et Datura ferox ont été introduits en Europe après le retour de Christophe Colomb. Officiellement Datura stramonium aurait été introduit en Europe en 1577 par les espagnols.
La dernière espèce de datura découverte par Gentry vers 1940 est le Datura arenicola, endémique du désert Vizcaino de Basse-Californie, confondu avec discolor (il n’apparaît pas sur la liste de ITIS).
– Datura L.
C’est Linné qui nomma le genre Datura en 1753 en décrivant un arbuste qui était alors appelé Stramonium arboreum.
Datura viendrait du nom sanscrit indien धतूरा – dhattūra, nom qui fut proposé latinisé dans l’ouvrage de Garcia de Orta dès 1563 ; dhat en sanskrit signifie ‘piquer’ en référence aux fruits piquants.
Ce nom pourrait provenir aussi du mot arabe tatorah signifiant ‘racine qui pique’.
De nombreux noms vernaculaires (populaires) :
Toloache est un nom espagnol issu du mot toloatzin en langue nahuatl (langue des Aztèques) signifiant ‘tête inclinée’ probablement en référence aux fruits inclinés du Datura inoxia mais ce nom désigne souvent les daturas de manière générale.
En français : pomme épineuse (thorn apple) en référence au fruit – chasse-taupe – herbe du diable – herbe aux fous…
Le Datura stramonium est nommée stramoine qualifiant une mauvaise herbe puante ; par extension, d’autres daturas peuvent être ainsi qualifiés, par exemple Datura discolor – la stramoine du désert.
En anglais, on trouve aussi la stramoine sous le nom de Jimson weed signifiant ‘mauvaise herbe de Jimson’. Jimson est le nom dérivé de la ville de Jamestown en Virginie, Amérique du Nord, premier avant-poste anglais créé en 1607, région des indiens Powhatan et de leur célèbre Pocahontas. En 1676, éclata définitivement une rébellion entre colons aidés d’esclaves noirs et le gouvernement britannique. Certaines légendes racontent qu’avant de brûler ce lieu, les rebelles rajoutèrent des graines de datura dans la soupe des soldats anglais qui divaguèrent pendant plusieurs jours dans la ville mais l’historien Robert Beverley dans son livre de 1705 sur l’histoire de la Virginie rapporte qu’il y a bien eu intoxication mais que les soldats mangèrent malencontreusement des feuilles de Datura stramonium sous forme de soupe, on peut s’imaginer qu’ils ne s’attendaient pas à vivre une aventure hors du commun… Beverley raconte :
« …certains soldats… en mangèrent abondamment, ce qui eut pour effet une comédie fort plaisante, car ils en devinrent des imbéciles naturels pendant plusieurs jours : l’un soufflait une plume en l’air ; un autre y jetait des pailles avec beaucoup de fureur ; et un autre, complètement nu, était assis dans un coin comme un singe, souriant et leur faisant des grimaces ; un quatrième embrassait et piquait affectueusement ses compagnons, et se moquait de leurs visages avec un visage plus antique que tout dans une drôle de hollandaise (comédie). »
– Brugmansia Pers.
Nom donné en 1805 par Christian Hendrik Persoon en honneur à Sebald Justinus Brugmans.
Le nom vernaculaire espagnol est floripondio, on peut aussi les trouver sous le nom de borrachero qui signifie ivre, ivrogne.
– Les noms populaires français et anglophones s’appliquent souvent aussi bien aux daturas qu’aux brugmansias et un des plus utilisés rappelle la forme de la fleur : trompette de la mort – trompette des anges – trompette du jugement dernier…
Régions tempérées et tropicales.
Ils aiment le soleil et les sols fertiles, bien drainés car bien adaptés à la sécheresse, malgré tout les brugmansias sont gourmands en eau durant la belle saison et certains daturas se développent le long des rivières (leichhardtii) ou plus rarement dans les marais (ceratocaula) par contre d’autres vivent dans les déserts.
Les daturas sont des plantes rudérales (se développent spontanément dans des endroits modifiés par l’activité ou la présence humaine). Datura stramonium et Datura metel, les plus connus, sont des adventices (plante envahissante venue d’ailleurs) que l’on retrouve dans des champs cultivés ou des terres incultes, des terrains vagues, au bord des routes, dans les friches.
Ce sont des plantes nitrophiles qui préfèrent des sols et des eaux riches en nitrates (azote). La présence naturelle du Datura stramonium peut indiquer une pollution du sol par un excès de pesticides ou de métaux lourds et la conserver permet de le dépolluer.
Les Brugmansia ont une prédilection pour les climats chauds et humides ; on les cultive facilement sur les terres des orangers. En France, certaines espèces sont cultivées en pleine terre uniquement en région méditerranéenne, certaines avec une résistance vers -7°C, rarement -10°C, sur une très courte période.
Un sol riche favorise la floraison.
Ces deux genres sont très proches mais il est pourtant très facile de les distinguer :
∙ Datura est une herbacée – Brugmansia est arbustif.
∙ Datura est annuel ou vivace à courte vie – Brugmansia est pérenne.
∙ Datura a des fleurs dressées – Brugmansia a des fleurs pendantes.
∙ Datura a des fruits en capsules – Brugmansia a des fruits en baies.
Traits communs : selon l’espèce, toute la plante peut être recouverte de trichomes (fines excroissances ou appendices) de défense, glanduleux et collants ou pas. Les longues racines blanches sont généreusement ramifiées, charnues certaines forment des tubercules (organes de réserve généralement souterrains), selon le sol elles peuvent être fortement pivotantes.
– Croissance très rapide.
– Datura est une herbacée très ramifiée, de 30 cm jusqu’à 1,50 m voire 2 m. Certaines espèces sont annuelles d’autres sont des vivaces ligneuses (caractères et l’aspect du bois) mais leur longévité est assez courte.
Brugmansia est pérenne (plusieurs décennies), il a un port arbustif très ramifié de tiges flexibles, de 2 à 3 m (en France) jusqu’à 5 à 8 m.
– Les Datura peuvent développer des drageons (tige souterraine pouvant développer des bourgeons aériens) et les Brugmansia des rejets.
– Les grandes feuilles sont simples, alternées, semi-persistantes ou caduques selon la région, pétiolées (petit pied) ; elles sont toujours sans stipules (appendices membraneux) et parfois gaufrées.
La base du limbe est souvent asymétrique.
∙ Les feuilles des daturas sont entières ou composées de 5 à 7 lobes plus ou moins profonds aux dents inégales, plus ou moins aigües. Les feuilles froissées de certaines espèces peuvent dégager une odeur de cacahuète ou une odeur fétide (stramonium, wrightii). Datura quercifolia comme son nom l’indique a des feuilles ressemblant à certaines espèces de chênes.
∙ Les feuilles des brugmansias sont entières, ovales, le bord du limbe est souvent ondulé, parfois légèrement denté.
– Hormis leur port, les fleurs de ces deux genres sont assez similaires.
Elles apparaissent dès que la tige primordiale développe des fourches, généralement l’année suivant le semis ou le bouturage. Leur durée de vie est assez courte et souvent ne se limite qu’à 1 ou 3 jours.
La formation des fleurs chez Datura serait déterminée par la quantité de lumière, durée et intensité alors que chez Brugmansia elle serait déclenchée surtout par la température. La période de floraison la plus adéquate est l’été mais elle s’étale souvent jusqu’aux premières gelées.
La préfloraison (disposition des pièces florales dans le bouton floral) quinconciale est du plus bel effet à l’émergence.
Les fleurs sont bisexuées ; contrairement à la majorité des Brugmansia (hormis arborea), les fleurs de Datura sont auto fertiles.
Généralement solitaires (très rarement par deux), elles sont portées par un court pédoncule (petit pied) à l’aisselle des fourches.
Les fleurs sont grandes de 7 à 20 cm selon l’espèce pour Datura, jusqu’à 30 voire 50 cm pour Brugmansia versicolor.
∙ Le calice à 5 sépales soudés est tubulaire ou prismatique. Les lobes sont dentés au sommet ou bien le calice est fendu sur un côté plus ou moins longuement, chez Brugmansia arborea il dépasse largement la gorge des pétales, sa grande longueur permet d’identifier cette espèce.
Chez Datura, si les lobes du calice disparaissent à la nouaison (stade de transformation de l’ovaire en fruit), leur base persiste souvent sous le fruit, c’est donc un calice marcescent (reste sur la plante). Cette base du calice se sectionne naturellement, chez l’espèce quercifolia elle prend l’aspect d’une cupule, petite coupe, ce qui renforce l’apparence similaire avec le chêne (hormis le port !).
∙ La corolle ressemble à une large trompette. Les 5 pétales soudés en forme d’entonnoir (corolle infundibuliforme) finissent par s’évaser et se courber vers l’extérieur. La ligne de jonction entre les pétales (le pli) est très marquée et se termine par une pointe plus ou moins effilée.
Les Datura présentent donc 5 pointes mais parfois développent 10 pointes correspondant aux 5 plis et à 5 autres pointes plus ou moins courtes marquant le milieu du sommet de chaque lobe, c’est le cas par exemple de l’espèce inoxia.
La ligne de jonction entre les pétales offre une souplesse qui leur permet de se replier dans la journée, de s’ouvrir pour le crépuscule et de se retourner nettement vers l’extérieur à la nuit tombée afin de permettre plus facilement l’accès au nectar (donc aux organes reproducteurs) aux papillons nocturnes et aux chauve-souris selon l’espèce.
Les pétales des Datura peuvent être blancs ou violets ou les deux, par exemple ceux de Datura discolor sont blancs au cœur violet ( les tiges sont elles aussi bicolores, rayées de violet).
Les pétales des Brugmansia sont généralement blancs ou jaunes, jaune orangé, ou jaune-verdâtre avec l’extrémité du limbe très coloré par exemple orange-rouge pour l’espèce sanguinea qui d’ailleurs par sa forme et sa couleur ressemble à une bignone ; certaines fleurs changent de couleur au cours de leur développement, c’est le cas de l’espèce versicolor, du jaune à l’orange ; ce changement de couleur peut être fréquent chez les hybrides et les cultivars d’autres espèces comme suaveolens qui offrent alors un massif diversement coloré.
∙ Les 5 étamines sont rattachées à la base de la gorge de la corolle en alternance avec les pétales (caractéristique des gamopétales). Les longues anthères (extrémité fertile d’une étamine) sont conniventes : elles se touchent à leur extrémité formant comme un anneau, elles sont donc bien en connivence…
∙ L’ovaire supère est à 2 carpelles (loges) toutefois les carpelles de Datura sont elles-mêmes séparées par de fines membranes perpendiculaires aux cloisons des carpelles, ce sont de faux septums (fausses barrières). Un long pistil à 1 stigmate (extrémité supérieure du style) bilobé émerge nettement du centre des étamines.
Un disque nectarifère sous l’ovaire est proposé aux pollinisateurs (c’est la moindre des choses) ; le nectar n’est pas toxique.
En savoir plus sur La Fleur et sur leur Sexualité.
∙ Développement d’une fleur de brugmansia :
(La présence de 6 pétales du brugmansia ci-dessous présenté atteste le caractère d’hybride cultivé, les autres fleurs de cette plante n’en présentaient légalement que 5).
Premier jour
Deuxième jour
– Si certains daturas dégagent une odeur peu agréable (surtout par les feuilles), ce n’est pas le cas de leurs fleurs au délicat parfum ; le parfum des brugmansias est suave, parfois même entêtant.
Un des principaux pollinisateurs est le sphinx, un lépidoptère nocturne ou crépusculaire, c’est pourquoi les parfums sont exhalés en fin de journée et durant la nuit ; le Brugmansia sanguinea – trompette de l’ange rouge ne développe pas d’odeur car il a choisi le colibri ; d’autres espèces sont visitées par les chauve-souris ; la pollinisation par les abeilles ou les coléoptères n’est que fortuite.
Une des fleurs préférées du Manduca sexta, le sphinx du tabac, un papillon américain, est le Datura wrightii, il apprécie son nectar, il aime aussi y pondre ses œufs, les chenilles se nourrissent des feuilles mais la plante hôte n’est pas d’accord pour se faire complètement détrousser et quand l’attaque devient sérieuse elle dégage des effluves qui attirent des punaises, des Geocoris qui ne feront qu’une bouchée des œufs et des larves mais le papillon sent aussi cette odeur et il en connaît l’issue et s’empresse de changer d’endroit pour pondre.
Placidula euryanassa est un papillon tropical ayant choisi le Brugmansia suaveolens comme plante hôte, il se nourrit de nectar et ses larves de feuilles, il stocke en lui le poison de la plante ce qui lui donne un très mauvais goût pour ses éventuels prédateurs qui en général le délaissent.
– Les fruits des deux genres sont nettement différents.
∙ Ceux de Datura sont des capsules ovoïdes de la taille d’une noix, de 5 à 10 cm, généralement épineuses ou parfois inermes (les variétés inermis et tatula de Datura stramonium – Datura ceratocaula), les épines sont souples ou acérées. La capsule peut être dressée (stramonium – ferox) ou pendante (metel, inoxia, wrightii), elle s’ouvre en 4 valves (déhiscence septifrage, ouverture longitudinale spontanée de chaque cloison) et les nombreuses graines (de 200 jusqu’à 500) sont propulsées par l’éclatement de leur capsule. À l’ouverture, les valves ressemblent un peu à des châtaignes.
Les graines sont petites de 2,5 à 3,5 mm, réniformes, généralement noires ou marron et lisses. Certaines espèces telle inoxia développe une petite caroncule (excroissance charnue) blanche.
∙ Les fruits de Brugmansia sont des baies charnues, non déhiscentes, lisses, fusiformes, plus ou moins épaisses, à l’apex (sommet) souvent aigu et long. En France, il est difficile de voir les fruits du fait que les espèces cultivées sont majoritairement des hybrides non naturels donc souvent stériles.
Les graines sont généralement entourées d’une enveloppe liégeuse ; tout comme celles des daturas elles ont une longue viabilité.
– Hybrides
Ces plantes s’hybrident facilement ce qui rend d’ailleurs leur identification difficile. Un des hybrides naturels les plus connus est Brugmansia x candida, hybride entre les espèces aurea et versicolor ; de nombreux cultivars sont issus de cet hybride.
Les Allemands et les Américains seraient les principaux producteurs d’hybrides cultivés.
Des cultivars à fleurs doubles ou triples sont proposés mais ils sont assez mal représentés dans les parcs et jardins. La nature modifie la structure et le rôle de la feuille pour former les verticilles (les organes insérés autour d’un axe) de la fleur, les horticulteurs transforment ce qui auraient dû être des étamines en pétales et dans le cas des Brugmansia cela enlève presque la magnificence de la simple corolle en trompette, enfin c’est une histoire de goût… Toutefois les hybrides créés par la spécialiste des brugmansias, Monika Gottschalk, sont sublimes (voir son catalogue).
– Multiplication par semis et boutures ainsi que par rejets pour Brugmansia.
– Ennemis
Ces plantes sont très souvent attaquées par différents ennemis : pucerons – mouches blanches – araignées rouges – champignons – virus…
– Sorcellerie
En pharmacopée, ces plantes sont classées dans la famille des hallucinogènes délirants ou délirogènes. Ce sont des plantes hautement toxiques pour les humains et les animaux.
Datura et Brugmansia contiennent des alcaloïdes et particulièrement de l’atropine et de la scopolamine, cette dernière connue depuis 1892 est particulièrement abondante dans les graines. Pour la petite histoire, vers 1915 le docteur américain Robert Ernest House s’aventure dans des expériences qu’il renouvellera en 1924, il constate que les sujets soumis à des injections de scopolamine répondent à des questions sans même réfléchir ; il vient de découvrir le sérum de vérité !
Connus depuis l’Antiquité pour leur pouvoir ‘magique’, les daturas rentraient dans des cadres mystiques, religieux et sociaux, ils furent longtemps considérés comme les ‘plantes du diable’.
La littérature sur leur toxicité est très abondante c’est pourquoi cet article se contente d’évoquer quelques utilisations.
Datura :
∙ Considérée autrefois comme une plante destinée à la magie noire, elle fit beaucoup parler d’elle en Europe au Moyen-Âge quand les sorciers découvrirent un mode d’application par baume (huiles ou graisses) qui diminuait les effets secondaires. Le datura était associé à la belladone et à la jusquiame provoquant la sensation de voler : les sorciers avaient donc bien la faculté de s’envoler !
∙ En Bretagne, la stramoine aurait été associée au cidre ; cette boisson connue sous le nom de jilgré aurait été consommée dans le plus grand secret dans le milieu agricole (femmes exclues)… D’autres régions françaises auraient eu aussi leurs boissons un peu ‘spéciales’…
Au Mexique, un thé aux feuilles de datura est censé rendre amoureux une personne de votre choix, c’est ‘la planta del amor’. Moins drôle, il aurait été utilisé comme méthode de torture durant l’inquisition espagnole.
∙ Le datura était appelé ‘herbe aux fous’ du fait des hallucinations qui déconnectent l’individu du réel pendant plusieurs heures.
Théophraste donna sa version de la médication de la racine d’une solanacée que l’on suppose être le Datura stramonium, la ‘solanée de la folie’ :
« On en donne une drachme (3,41g) si l’on veut que le patient soit d’humeur folâtre et se trouve merveilleux ; deux drachmes, pour qu’il devienne fou et qu’il ait des hallucinations ; trois, pour qu’il soit en état de folie permanente (on mélange, dit-on, à la drogue du suc de centaurée) ; quatre pour causer la mort. »
∙ Les indiens algonquin associaient Datura stramonium à d’autres plantes lors des rituels de passage à l’âge adulte. Les Aztèques, les indiens Navajos, les Huichols (Mexique), les Yokuts (Californie) etc. l’utilisaient comme hallucinogène sacré pour rentrer en contact avec les esprits. Le datura était aussi utilisé par les sorciers vaudous à Haïti.
Le peuple Chumash de la Basse-Californie donnait à leurs enfants des décoctions de l’espèce wrightii pour les aider à accéder au monde des adultes ; les archéologues ont dévoilé dans les années 2000, la trace d’utilisation du datura sous la forme de plantes mâchées, des chiques trouvées dans une grotte de Californie, la Pinwhell Cave qui aurait abrité le peuple Chumash il y a 400 ans ; l’analyse des chiques a confirmé la présence de scopolamine et d’atropine ainsi que de la matière végétale de l’espèce wrightii ; d’autre part ce peuple s’adonnait à l’art rupestre et certaines représentations peintes à l’ocre rouge sur le plafond de la grotte rappellent la forme de la fleur de datura à émergence – voir l’étonnante photo de Devlin Gandy dans un article du National Geographic – le nom de cette grotte évoque cette forme, pinwhell signifiant moulinet.
∙ En Inde et au Népal, Datura metel est associé au dieu Shiva. Le danseur cosmique, Shiva Nataraja est souvent représenté avec une coiffe ornée d’une fleur de datura. À l’heure actuelle dans le Maharashtra, état de l’ouest de l’Inde, il serait préconisé de le consommer et d’offrir ses fleurs à Shiva, toutefois, en Inde il est souvent considéré qu’il n’est pas dangereux de le fumer mais que le manger ou le boire est fortement déconseillé. Les yogis et les sâdhus fument les graines ou les feuilles associées au Cannabis indica ainsi qu’à l’Aconitum ferox et au tabac, Nicotiana tabacum. À Vârânasî (Bénarès), ville sacrée de Shiva, les fruits et les fleurs de Datura metel sont dressés en guirlandes dans des cérémonies sacrificielles.
Au Tibet, le fruit est brûlé comme encens dans certains rituels.
∙ En Chine, les anciens associaient les fleurs dans la consommation de vin. Il était dit que « si la personne riait en emballant les fleurs alors celle qui boirait ce vin aux fleurs, rirait. Si la personne dansait en cueillant les fleurs alors celle qui boirait ce vin aux fleurs, danserait. »
∙ En Afrique, il était aussi utilisé dans des rites initiatiques et pour stimuler des activités criminelles.
Brugmansia :
Les espèces sanguinea et aurea étaient utilisées autrefois par les chamans d’Amérique du Sud afin d’entrer dans des transes violentes.
En Colombie, on considère que l’espèce vulcanicola est habitée par un esprit maléfique.
En Amérique du Sud, il a été constaté que des personnes mal intentionnées utilisaient les alcaloïdes contenus dans cette plante pour hypnotiser leurs victimes afin de les détrousser. On retrouve ce genre d’anecdote en France au XVIe siècle avec la ‘bande des endormeurs’.
– Médicinales
Leur utilisation dans la médecine a commencé pendant les civilisations grecques et romaines.
Datura et brugmansia ont été utilisés comme poisons mais aussi comme médicaments un peu partout dans le monde contre les douleurs, les maladies de peau, les rhumatismes, les inflammations, l’asthme, les névralgies mais aussi la folie et la rage, ils auraient des propriétés anti-inflammatoires et seraient utiles pour traiter les hémorroïdes.
∙ Dès le Ve siècle, les graines et les feuilles de datura sont utilisées en médecine ayurvédique.
∙ Dans la pharmacopée française, on utilise les parties aériennes fraîches en cours de floraison pour lutter contre l’asthme, les spasmes musculaires, la maladie de Parkinson mais aussi en homéopathie pour les troubles du comportement : tics, délires, angoisses, trouble du sommeil, colères…
Le datura fut très à la mode dans les années 70/80 par les toxicomanes ou autres amateurs d’effets psychédéliques qui utilisaient des médicaments à base de datura telles les cigarettes ‘Legras’ censées soigner des problèmes respiratoires, de ce fait au vu de la dangerosité elles ont été interdites à la vente en 1992.
∙ Dans différents pays et particulièrement en Amérique, en Inde et en Afrique, on cultive des plantations industrielles destinées à l’extraction d’alcaloïdes. Des hybrides interspécifiques sont créés afin d’obtenir une production élevée de scopolamine.
– Parfumerie
Le délicat ou l’impétueux parfum des daturas et des brugmansias ont bien sûr donné naissance à la création de parfum. Un des plus connus est ‘Datura noir’ de Serge Lutens qui est décrit comme un parfum narcotique et hypnotique, tout un programme ! Les plus grands couturiers ont été attirés par leurs effluves qui font voyager, on peut citer ‘Poème’ de Lancôme, ‘Mon Paris’ d’Yves Saint Laurent, ‘Black XS l’Aphrodisiaque for Women’ de Paco Rabanne ainsi que deux parfums de Nina Ricci…
– La présence de datura fait fuir les taupes ; leurs graines sont raticides.
– Ornementales
Ce sont surtout les espèces de Brugmansia qui ornent nos jardins et nos terrasses. L’utilisation en plante d’orangerie permet d’avoir une floraison plus longue et de cultiver des espèces très esthétiques mais gélives.
– Les daturas sont généralement vus comme des plantes envahissantes mais à l’heure actuelle toutes les espèces sont considérées comme des espèces éteintes à l’état sauvage sur la liste rouge de l’UICN des espèces menacées.
Malgré tout, comme toutes ‘mauvaises herbes’, le datura se ressème spontanément et peut devenir envahissant. Les jardiniers qui détruisent la stramoine doivent se méfier de ne pas la brûler car l’inhalation des fumées peut provoquer des hallucinations. Quant aux agriculteurs, ils doivent être particulièrement vigilants car les abeilles qui la butinent produiraient un miel ‘hallucinatoire’. Les champs de sarrasin peuvent être contaminés (seuil de risque : 1 graine de datura pour 10 000 de sarrasin) ; elle est présente aussi dans les champs de maïs, tournesol, soja, orge, blé… Elle présente des effets allélopathiques (interactions biochimiques positives ou négatives d’une plante sur une autre) qui réduisent la croissance et la germination des céréales toutefois elle peut aussi avoir des effets bénéfiques en tant que hôte alternatif des ravageurs de la pomme de terre, des tomates ou du tabac, par exemple Datura stramonium est efficace contre les doryphores mais son utilisation en maraîchage paraît quand même très dangereuse. Les agriculteurs sont tellement soucieux de ce problème qu’ils emploient tous les moyens y compris des drones discriminants utilisés dans l’Ouest de la France au-dessus de champs de sarrasin bio ou de maïs.
Le datura s’est invité à l’Assemblée nationale : en 2012, il a été proposé au ministre de l’agriculture l’interdiction à la vente des daturas au vu de leur toxicité et de leur facile propagation dans les champs. Cette demande n’a pas été validée du fait que les brugmansias ne sont pas concernés par l’invasion des cultures, que seul Datura stramonium arrive à s’installer sous nos conditions climatiques mais qu’à son propos les agriculteurs doivent se référer à la réglementation relative à la sécurité sanitaire des aliments : le règlement européen de 2011 évalue la teneur maximale en graines de datura dans les récoltes pour animaux à 1 gramme par kg soit 0,1%.
Datura ceratocaula, une plante des marais consommée par les canards, rendrait leur chair toxique ; Datura stramonium est dangereuse pour les animaux et spécialement les chevaux mais en général les bovins ne la broutent pas repoussés par l’odeur.
– Hommes populaires
∙ D’après certains, notre célèbre Nicolas de Condorcet serait mort en prison d’une prise de stramoine et d’opium mais pour l’instant ce ne sont toujours que des rumeurs…
∙ L’appartement parisien de Marcel Proust sentait fortement la stramoine car il en faisait beaucoup brûler sous la forme de poudre (antiasthmatique).
– Littérature
Carlos Castaneda a popularisé le datura avec son livre ‘L’herbe du diable et la petite fumée’ où le Datura inoxia est considéré comme ‘un allié violent et imprévisible qui permet d’acquérir la puissance et de ‘voir’ en se déplaçant dans l’espace, à condition d’être capable de le dompter’.
– Peinture
Le tableau ‘Jimson Weed’ de l’artiste américaine Georgia O’Keeffe a été vendu en 2014 à une riche héritière qui a déboursé une somme triplant le record mondial d’enchères pour une œuvre d’artiste féminine.
– Art décoratif
En 1900, Émile Gallé a créé un vase en verre soufflé-moulé représentant une fleur de datura sous le style japonisme.
Sa représentation ci-dessous a été empruntée au site du Musée des Arts décoratifs.
Mise à jour janvier 2024.